Face à la mer

Face à la mer

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par Suzy Dryden

Face à la mer

Nouvelle

 

Toute une année écoulée côte à côte à New York. Des disques vendus, des prises de vue à Central Park, le métro pris tous les jours et la signalisation « Walk. Don’t Walk » qui scande les feux de la Big Apple encore dans leur tête.

Le célèbre couple Armstrong pose enfin ses valises. La seule et unique parenthèse de l’année au bord de l’océan. Le sable chaud clignote, étincelant de la lumière de Floride. 

Epuisés, Jack et Ella oublient de ranger leur malle. A peine arrivés, ils la plantent dans le sable, telle un menhir, symbole du passé ou de leur vie d’artistes à New York. Tant pis si elle chauffe. La crème anti-âge d’Ella va fondre. Peut-être.

La photographe de Broadway et le clarinettiste s’effacent, se posent sur le banc blanc face à la vue plongeante sur l’Atlantique. Arrêt sur image. Enfin, leurs chemins se retrouvent ou du moins ils ont envie d’y croire. Las et pensif, Jack s’affaisse, les yeux légèrement baissés. Il espère qu’elle va lui caresser le dos même sans crème solaire. Ella n’a pas le courage d’aller nager, même si elle est prête, en tenue de sirène. Son cœur bat. Elle attend un geste de son mari mais n’entend que les vagues bleues frémir et le soleil taper sur ses pieds.

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Qui fera le premier pas ? Le temps passe lentement. Ils restent une, deux, trois heures sur le banc et se laissent abrutir par le soleil. Rien n’est planifié. Ella s’endort, se réveille en sursaut et son esprit se vide petit à petit.

Les mots « c’est trop tard » surgissent et viennent engourdir Jack. Cela doit faire un an qu’ils n’ont plus vraiment fait l’amour. Trop d’espace, trop de clicks, de vide se sont infiltrés dans leur vie quotidienne ou est-ce juste la lassitude de la routine ? Il incline légèrement la tête pour réfléchir et tenter de comprendre.

Mais soudain, les nuages semblent s’adresser aux torchons qui sèchent au soleil comme des drapeaux prêts pour une fête nationale. Le corps d’Ella tressaille et d’un geste précis, elle croise ses jambes musclées. Un courant inattendu circule entre sa hanche et le dos musclé de Jack. Elle ferme les yeux et délicatement de sa main gauche remonte le long de la colonne vertébrale de son mari. Elle sait exactement ce qu’elle veut et sourit. Jack pose ses mains sur les genoux de sa femme et lâche prise. Il jette mentalement tous les contrats manqués à l’eau, efface l’année et respire à tire d’aile.

Il entend alors, dans la torpeur de l’après-midi, la voix d’Ella lui lancer à la volée :

« Come on. Let’s fly ? »

Telle une étincelle, un accord lui vient à l’esprit. Il la serre fort contre lui et l’entraîne en courant vers l’océan.

Ma nuit chez Maud

Ma nuit chez Maud

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par Suzy Dryden

Ma nuit chez Maud

Nouvelle

 

La fenêtre nantie de ses volets cabossés s’ouvre sur des champs d’olivier. Il faudrait repeindre les persiennes mais je les préfère ainsi avec la peinture qui s’écaille. Un vert olive bien gris.  C’est ma chambre à Font-Valette. Des toiles d’araignée de toutes les formes inimaginables me rappellent, à chaque fois, que la maison est très vieille et un peu abandonnée. 

J’adore pousser la porte qui grince et sentir une de ces toiles me chatouiller et la retirer de mon visage. Je descends une petite marche et m’y voilà. 

La pièce est bien carrée et proportionnée. C’est la plus belle chambre de la maison de ma grand-mère. Le sol, terre de Sienne brûlée, est inégal, poli et usé. Tout de suite, à droite, un petit lit simple blotti contre le mur. A gauche, un autre lit un peu plus grand avec une étagère au-dessus. Je devine mes livres préférés. Ils sont tous recouverts proprement avec du papier kraft brun. J’en prends un et je le renifle. Il sent trop bon.  Sur les étiquettes, l’encre passée a effacé quelques lettres mais je reconnais tout de suite Michel Strogoff.

Sous la fenêtre, se trouve une petite table de chevet avec un tiroir. Dans ce dernier, Grand-Mère a laissé des crayons et des papiers pour dessiner et parfois un nouvel objet qu’on avait oublié comme un gros taille-crayon rouge ou une petite boîte avec des francs dedans.

Si l’on se retourne, l’on remarque quelques marches et une grande porte avec une serrure qui m’a toujours semblée immense. C’est la porte qui mène au grenier mais l’on n’a pas le droit d’y aller parce que, là-haut, le plancher peut s’écrouler et c’est très dangereux. De toute façon, il n’y a pas de clé. 

 

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Dans la chambre, règne une odeur de terre mouillée et de moisi mais une fois que l’on se dirige vers la fenêtre pour ouvrir en grand les volets et se plonger dans la vue…. Là, à chaque fois, les yeux émerveillés, je fais une pause pour respirer l’odeur du thym et du romarin.

Il n’y a pas grand-chose dans cette chambre : deux lits, une fenêtre, une table de chevet, même pas de chaise. Ah. J’allais oublier : un pot de chambre blanc. 

Au mur, à droite, une grande affiche de cinéma où l’on voit le titre en grand “Ma nuit chez Maud”. C’est un film connu, peut-être que vous le connaissez. Je me souviens bien quand j’étais petite, la lune parfois venait éclairer le visage de Maud. Cela me faisait peur et comme il y avait un frère ou une sœur pas loin, on s’appelait à tue-tête dans la maison pour demander qui voulait bien “dormir avec nous”.  Je nous revois, un été, trois dans le même lit, pelotonnés les uns contre les autres. Des frissons, des fous rires, des sursauts à volonté. Surtout, quand soudain, l’on entendait les pas des mulots ou des rats (d’ailleurs !) qui galopaient dans le grenier. 

Font-Valette, la maison qu’on appelle aussi “le petit paradis provisoire” n’existe plus dans la vie mais il suffit que j’entende son nom ou le chant des grillons pour écrire sur une page blanche avec l’écriture d’une enfant, ronde et confiante :

“Voici les vacances”.

« Hommage à toi, François »

Gymnopédies provençales

Gymnopédies provençales

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par Suzy Dryden

Gymnopédies provençales

Nouvelle

 

Suivre le soleil dans les oliviers n’est pas donné à tous. Les premiers rayons glissent le long du cyprès : signe du départ, de l’appel des hauteurs. Elle tend l’oreille pour vérifier la qualité du silence, enfile un pantalon et ses espadrilles. La porte d’entrée grince, elle caresse la clé enrouée avant d’avancer sur la terrasse. Le figuier centenaire reste impassible sur son passage mais elle sent sa chaleur enveloppante. Comme à chaque fois, au détour du bûcher, elle respire les préliminaires de sa liberté. Un mélange de thym, de romarin et de calcaire mouillé.

Chaque escapade commence par un arbre précis. Ce matin, elle se rend instinctivement vers « Le Fauteuil ». Recouvert de lierre grimpant, cet olivier se tient majestueux au-dessus des restanques. Le maître ici. Elle s’y trouve une place, les jambes dans le vide et attend, le cœur battant, le premier signe. La première voix prend son temps comme toujours.

– « Je cherche mon tabac anglais » répète-il

L’homme est grand, légèrement voûté, les sourcils en bataille, la voix porte et résonne dans le fond du Fauteuil.

– « Détends-toi, dit-elle, on n’a plus de temps à perdre. Ton Early Morning Pipe attendra.

La note est plus aigüe, lancinante et siffle comme la tramontane. Elle retourne les feuilles de l’arbre. L’argenté prend le dessus.

– « Je ne peux pas faire cela sans tirer un minimum sur ma pipe. ». Rétorque-t-il dans sa barbe. 

– « Tu ne dois penser à rien d’autre si tu ne veux pas qu’on se fasse prendre. Et dépêche-toi, on a déjà assez perdu de temps. Il faut qu’on arrive à tout emballer et à la caser dans le coffre avant la nuit. » 

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Les deux voix s’éloignent en tandem. Pause dans l’arbre. Elle a le temps de s’adosser, de voir la mer au loin, le toit du mas qui crépite dans la matinale. Une porte de voiture claque. C’est le barbu. Elle l’a reconnu sans réfléchir à l’odeur : un mélange tenace de tabac, de sueur et d’angoisse. Une voiture démarre. Le pot d’échappement couve une sale grippe. La fumée, nuage incongru dans le ciel bleu détonne dans la garrigue.

– « Salope, tu oses m’empêcher de fumer et tu en allumes une. »

Etonnement, la femme pressée ignore son interlocuteur et s’applique à faire le moins de bruit possible. L’habitante de l’olivier tend l’oreille et perçoit le choc sec d’un objet lourd et encombrant. Quelques minutes interminables s’écoulent. Il est temps de changer d’arbre. 

Le prochain est à l’image d’un Bacchus de Caravage, généreux, sensuel et foisonnant de tous les tons de vert. Elle s’y installe langoureusement. Il est déjà 10H et les rayons du soleil créent la réverbération idéale pour une prochaine gymnopédie. Lent et calme. Cette fois-ci, c’est la voix d’un patrouilleur, un gendarme à l’accent du midi.

– « Vous n’avez pas repéré une vieille voiture bleu azur, une Mustang, avec un rétroviseur cassé ? Je recherche des malfrats en foucade. Une jeune fille, Pauline a disparu. » 

– « Non, c’est l’heure de la sieste. Je n’ai pas fait attention ». Répond-elle.

Au moment où elle s’entend parler, elle sent monter la saveur de l’olivier, celle qui attire les chats et leur donne envie de jouer. Elle doit se cacher, disparaître, se retrouver vraiment seule. Il est bientôt 11h et l’astre du Haut-Var commence à taper. Il faut bouger pour éviter le plein cagnard. Elle descend du Bacchus, légère, aérienne, presque évaporée et marche discrètement vers l’un des oliviers les plus reculés de la montagne. Il faut escalader les vieux murs des restanques méridionales pour trouver un peu d’ombre. Le mas rétrécit au fur et à mesure qu’elle monte. Son cœur bat fort, presque en transe. Malgré la moiteur ambiante, elle sent ses seins durcir de désir sous la transparence de son chemisier. Son corps aux aguets. Elle retrouve l’Ancien, l’olivier quasi millénaire. Son tronc noueux et voluptueux l’appelle pour s’y réfugier. Plus de vent. Il ne reste plus que les cigales, l’arbre et les voix mystérieuses. Elle ferme les yeux.

– « J’aurais aimé vous avoir près de moi. Vous m’auriez tenu compagnie lors de mes compositions. » 

Voix d’homme profonde, parfum boisé, élégance d’une moustache mêlée à des poèmes d’Antiquité. La grande confidente de l’olivier. Un prénom et un nom lui viennent à l’esprit : Erik (Satie).

`La belle-de-jour envahit l’olivier prévu pour le début d’après-midi. L’heure divine. Le demi-sommeil est à portée de main. Adossée à la branche la plus confortable, les cheveux emmêlés par la salsepareille, sous une pluie de feuilles miroitantes. L’imagination prend des allures de parisienne et la nargue. 

– « Ce n’est pas un endroit adapté pour cette occupation. »

La voix est railleuse et se perd dans un grand rire de music-hall. Elle se souvient du bruit sec de la porte de la voiture qui claquait ce matin. 

– « Ce n’est pas une coïncidence… ». lui murmure la voix de l’homme à travers l’ombrage. Elle sait, dès cette phrase, que dans ce parfait accord entre la main gauche et la main droite, le compositeur des gymnopédies vient lui tendre une piste. La une, deux, trois ou quatre. Comment vérifier ? Le rythme des notes de piano l’aide à tourner les pages pour connaître la suite. Le soir tombe, il ne reste plus qu’un olivier éclairé dans le coucher du soleil. Il sera bientôt impossible de lire sans lumière. Il est temps de rentrer.

Plusieurs jours plus tard, sur la terrasse près du figuier, elle apprend dans le journal de Bargemon que l’on a retrouvé le corps d’une femme emballé dans le coffre d’une voiture. L’enquête remarque que plusieurs livres ont été retrouvés dans des arbres dans le périmètre de la Mustang. 

Elle continuera à lire en suivant le soleil dans les oliviers, à écouter les voix qui vont et qui viennent au gré des histoires car le livre est sa vie.

Le secret des iles Borromées

Le secret des iles Borromées

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par Suzy Dryden

Le secret des iles Borromées

Nouvelle

 

J’hésitai à ouvrir l’enveloppe ne souhaitant pas être dérangé. Depuis quelques temps, toute distraction me semblait dangereuse car me détournait de ma mission spéciale. 

L’odeur de cannelle qui émanait de la lettre eut raison de moi et j’approchai l’enveloppe de mon nez pour humer, comme lorsqu’on retrouve un vieux livre et que l’on enfouit son visage dans son creux pour sentir l’odeur du vieux papier. Je fermai les yeux et m’amusai à deviner qui était le messager de cette missive. Les quatre timbres sur l’enveloppe représentaient un paysage qui m’évoqua tout de suite les îles Borromées et je me souvins d’une histoire que Madame Zimmermann avait dû me lire dans mon jeune âge. Le parfum des îles Borromées. Dans ce livre, il s’agissait d’un dilemme, d’un mystère qu’une bande d’amis devaient élucider pendant leurs vacances. Tout ce que je recherche émotionnellement et professionnellement. L’intensité, l’énigme, l’inconnu, l’affaire sensible…

Que faire ? Succomber à ma curiosité pour lire cette lettre et laisser tomber la pile de dossiers ? De nouveau, c’est la cannelle qui trancha et je déchirai l’enveloppe précipitamment en remarquant, dans ce geste vif, que le papier fin tremblait comme étonné de la réaction de son destinataire. Pliée en six, une feuille très fine apparut comme rabougrie. Mon premier réflexe fut de trouver que l’expéditeur avait peur ou était plutôt timide et j’eus le pressentiment profond que je découvrirai une écriture de pattes de mouche, apeurée et illisible comme celles des personnes qui se cachent en permanence.

Dans mon métier, l’on rencontre souvent ces lettres recroquevillées sur elles-mêmes. Il faut avouer que les sujets ne frisent pas la légèreté. Je regardai le soleil du midi gagner mon bureau et embrassai du regard la pièce et les objets familiers avant de commencer ma lecture. Surpris pas la belle écriture ronde et généreuse que la feuille afficha devant moi, je clignai des yeux, légèrement ébloui par les rayons du soleil et lu à haute voix :

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Teranga, le 15 mars 1967

Mon petit,

Les îles Borromées t’appellent. Le sable des plages endormies attend les traces de tes pieds blancs. J’ai appris, grâce à internet, que tu avais rejoint le corps d’élite. Comme je suis fière de toi. J’aimerais te serrer dans mes bras ! 

Qu’en penses-tu avoir une permission et venir me voir car il sera bientôt temps pour moi de rejoindre l’au-delà. J’ai 91 ans. J’ai beaucoup de choses à te raconter sur tes ancêtres, sur la famille. Toi qui as toujours aimé les histoires, je t’en prie, viens à la fin du mois de mai. Je t’attends. Ta mère sait qui je suis mais ne voudra pas me voir. Ces choses pèseront trop mais toi, vaillant comme tu es aujourd’hui, tu comprendras et ces informations te seront utiles dans ta prochaine mission en Martinique.

Viens vite. Les gâteaux de banane-cannelle et le chant des colibris te font signe de la maison d’où je t’écris. Il est vraiment temps que tu apprennes la vérité. 

Mwen aimé ou doudou*,

Mahina

Voici mon adresse :
Madame Mahina LevyTeranga,
Pazzio del Canto
Les Iles Borromées

Je froissai la lettre et m’adossai sur ma chaise. Le soleil tapait fort. Les stores non baissés réclamaient une sieste. Le parfum de cannelle s’estompait. Pour prolonger l’excitation de cette découverte, je ne quittai pas des yeux les quatre timbres, fasciné par les couleurs, les jardins exotiques et le lac Majeur. Le parfum des îles Borromées. Le titre de ce livre d’enfant revint me taquiner. Mais quel lien entre cette femme des îles visiblement très âgée et ma personne ?

Je fermai les yeux et tentai de plonger dans les méandres de ma petite enfance. Seul le parfum de cannelle semblait être un indice. Je décidai de ne pas trop réfléchir et de faire une pause. Le sommeil porte conseil. Après la sieste, j’appellerais ma mère pour tenter d’avoir des explications. Ou plutôt mon frère d’abord. C’est l’intello de la famille et il passe beaucoup de temps à se creuser la tête sur la généalogie. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi… 

Note : Mwen aimé ou doudou* : « mon chéri je t’aime » en martiniquais

Le sanglier et la tourterelle

Le sanglier et la tourterelle

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par Suzy Dryden

Le sanglier et la tourterelle

Nouvelle

 

Il était une fois une sœur pèlerine qui avait beaucoup marché, beaucoup porté et beaucoup parlé. La nuit venue, elle décida de faire l’expérience de la solitude. Au lieu de se regrouper et de dormir à la belle étoile près de ses sœurs, elle se mit légèrement en retrait, à l’écart, près d’un buisson ardent.

Confortablement installée dans son sac de couchage, elle mit du temps à s’endormir…Toutes les images de la journée dansaient comme des lucioles mais peu à peu la fatigue et le silence prirent le dessus et elle s’endormit…

Au cœur de la nuit, elle se réveilla en sursaut. Un bruissement de pas discrets mais lourds et autoritaires chatouilla ses oreilles. Tout de suite, elle pensa à un sanglier redoutable. Dans le haut-var, il est connu comme le loup blanc, surtout la laie qui défend ses marcassins…

Tétanisée, la sœur pèlerine se recroquevilla et entama un chapelet. Rien à faire ! Le grognement de l’animal continuait à la hanter. Ne pas désespérer… Elle pria, pria et pria, frissonnante, prise de grandes sueurs froides.

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Au bout d’un moment qui lui sembla interminable, elle décida de fermer les yeux… la

cadence de la prière aidant, elle s’assoupit. Un frémissement de nouveau vers trois heures du matin la réveilla cette fois-ci en douceur. Le bruit de pas était plus doux et plus lent que celui du sanglier. Elle ouvrit un œil puis l’autre. Les ronflements et mouvements des sœurs pèlerines la rassurèrent.

Soudain, le roucoulement d’un oiseau éveilla sa curiosité. En prenant sa respiration, elle sortit sa tête ébouriffée du sac de couchage et vit, tout à côté, dans le buisson, une tourterelle au plumage argenté que la lune éclairait. Les étoiles scintillaient haut dans le ciel. Le cœur de la pèlerine se remplit de joie. Elle sourit seule dans le petit matin et attendit, les yeux grands ouverts, que ses sœurs se réveillent….

De retour dans son pays, elle sortit son sac et le laissa dans le jardin pour qu’il puisse respirer. Elle étendit son sac de couchage, rinça sa gourde, nettoya son attirail de randonneuse.

Subitement, elle entendit un bruissement. ! Une tourterelle ? Un sanglier ?

Non, un minuscule mulot des champs la regarda de ses grands yeux apeurés et sortit, dans un bond, du sac.

Joie de l’imprévu. A l’année prochaine….

La flaque d’eau

La flaque d’eau

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par Suzy Dryden

La flaque d’eau

Nouvelle

 

Dans une flaque d’eau, vous avez plusieurs possibilités. Celle de sauter dedans avec des bottes en caoutchouc et d’éclabousser en faisant beaucoup de bruit. Ou celle de l’enjamber pour éviter de se mouiller. Martin choisit la deuxième option. Après la nouvelle matinale de son licenciement au bureau, l’art d’esquiver lui semble plus approprié. Alors qu’il dépasse la flaque, une deuxième, puis une troisième semblent s’avancer vers lui. Cercles qui se déroulent à la suite d’un ricochet dans l’eau, éphémères mais envahissants.

La tête lui tourne. Les flaques d’eau se multiplient devant ses yeux et il sent son cœur battre dans ses tempes. Dans la moiteur froide et humide de l’après-midi, son choix est fait. Mentir le plus longtemps possible. C’est plus facile de faire semblant, d’esquisser sa vie, de porter le masque de celui qui ne sait pas.

Le chemin à travers la vieille ville perd tout son charme familier. En passant devant le Café du Soleil, encerclé par trois flaques immenses. Martin reste un moment pantois, incrédule. Dans la rue, une forme mystérieuse posée sur un carton attire son regard. En s’approchant, il cligne légèrement des yeux derrière ses vieilles lunettes en écaille. Là, il regarde furtivement sa montre et constate qu’il est l’heure de rentrer, l’heure du thé : 17h07. Peut-être un signe positif ces deux 7. En général, c’est plutôt Amy qui est superstitieuse mais aujourd’hui à cause des circonstances particulières, les rôles sont peut-être inversés.

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Peu importe. Cap sur ce carton d’abord où il voit giser une magnifique longue robe rouge du soir, un boa de plumes noires, des escarpins enlacés et une lettre cachetée. Martin enlève ses chaussures bien cirées d’employé modèle et marche hardiment dans les flaques qui le mènent au tas énigmatique. Autour de lui, pas un chat, pas un bruit. Le Café du Soleil affiche d’ailleurs « Fermé ». En se penchant, Martin attrape la lettre et lit les mots visiblement gribouillés à la hâte à haute voix : 

« Pour celui qui me trouve. Pour celle qu’il aime. Je ne serai bientôt plus. Les années passent. ».

Martin n’arrive pas à déchiffrer la signature mais remarque que l’écriture glisse, déliée et décidée. Sans réfléchir, comme animé d’une soudaine confiance, il saisit les vêtements, attrape les chaussures de bal et enfouit la lettre dans sa poche. Il court, léger et saute dans les flaques d’eau, fredonne, s’éclabousse. Le paysage défile tel un train à grande vitesse.

La porte de leur appartement sans dessus dessous s’ouvre toute seule. Comme d’habitude, elle n’est pas fermée. Amy est déjà rentrée de l’hôpital où elle travaille comme infirmière. Martin la retrouve devant le poêle vert, les yeux tout cernés, les pieds endoloris après une journée de travail. Il prend sa respiration. Elle se tourne vers lui et lui demande :

-« Hello Martin. Comment s’est passée ta journée ? Mais… pourquoi es-tu tout trempé ? Qu’est-ce que tu portes ? Une robe !

Martin lui sourit. 

– « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle… ».

Tsunami

Tsunami

A lire avec le bruit de l’océan

Obaasan : grand-mère en japonais

Ariake 有明 : prénom masculin japonais signifiant “possède la lumière”.

Illustration : la grande vague de Kanagawa de l’artiste japonais Hokusai

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par Suzy Dryden

Tsunami

Nouvelle

 

La vague glacée submerge Ariake. Dans un ultime élan, il heurte un objet dur qu’il agrippe désespérément. Ses pensées tourbillonnent. Les images défilent… Obaasan, Fukushima.

La tempête est tombée. Accroché à un arbre épave, il contemple son horizon de désolation. Vivre ou laisser agir la force marine ?

Epuisé, claquant des dents, il perçoit sous son nombril une intense chaleur qui le sort de sa torpeur. Il a encore le choix. Il suffit d’un geste.

Le jour même, sur une plage, un corps sans vie parmi les débris se fond dans le paysage. L’homme a un léger sourire sur les lèvres, les mains croisées sur le ventre. Vivre pour mourir ou mourir pour vivre.

Il a choisi sa liberté.

 

11 mars 2011, Suzy Dryden

 

Suite hongroise

Suite hongroise

La version audio de cette histoire est en préparation

par Suzy Dryden

Suite hongroise

Nouvelle

 

Le numéro de téléphone avait immédiatement capté mon regard, à côté du nom séduisant de Chorale Jazz Manouche. Une belle brochette de six et de deux. Rapidement, j’additionnai les chiffres et me sentis soulagée que le résultat soit un nombre pair. Comme une suite hongroise. Depuis toujours, je raffole de ces chiffres ronds. Deux par deux. Il faut dire que ce chiffre 2 représente un idéal pour moi car cela fait des années que je suis célibataire. Les hommes s’approchent de moi et une fois qu’ils sont un peu trop près, ils s’éloignent de nouveau. Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Je suis très petite mais bien proportionnée, de belles épaules carrées et une poitrine pigeonnante comme dans les années 50. Certes, vu ma taille, je ne ressemble pas à ces couvertures de magazine mais je considère que j’ai un certain charme méridional voire même oriental.

Chorale Jazz Manouche cherche ténors et basses. Audition mercredi 7 septembre 20h Salle Jacques Prévert. Persévérance indispensable. Spectacle prévu en juin à la salle centrale de la Madeleine. Succès garanti.

Chorale Jazz Manouche. Une drôle de combinaison. A part Thomas Dutronc, j’ai plutôt le souvenir que ce type de jazz ne se chante pas mais les mots « succès garanti » me conquirent. En effet, mon métier de professeur de mathématiques m’apporte la sécurité et une certaine rigueur mais loin de moi les paillettes ou la gloire. Dans cette ère numérique, l’on croise des élèves paresseux et endormis. L’époque des tables de multiplication me semble d’une grande poésie, souvenir de l’entraînement, de la répétition, d’une certaine abnégation et excitation dans l’apprentissage. Je crois d’ailleurs que c’est à l’époque des tables que j’ai découvert ce faible pour les chiffres avec un certain goût pour la cadence et le tempo. Le style jazzy. Oui, avec le recul, cette annonce saugrenue pour cette chorale m’avait tapé dans l’œil pour d’autres raisons que mon faible pour les chiffres pairs.

 

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De retour à la case départ dans mon appartement solitaire, je décidai d’appeler. Je n’avais rien à perdre. Mon cœur battait la chamade en tapotant les chiffres sur mon téléphone. La sonnerie s’éternisa pour atterrir sur une boîte vocale où une voix de femme soprano, vu le tremolo, me rappela en articulant exagérément :

– « Bienvenue à vous qui êtes intéressée par notre chorale. Rendez-vous à la Salle Jacques Prévert mardi 7 septembre à 20h. Nous cherchons des ténors et des basses de préférence ».

Toute la semaine, je pensai à la chorale. Le lundi, je tentai de chercher les mélodies connues propres au jazz manouche et les passai en bouche dans ma voiture. Ma camionnette s’accorde très bien d’ailleurs à cet esprit gipsy. En m’écoutant chanter avec ma voix grave, le nom de Stéphane Grappelli me vint à l’esprit. Je me souris en m’envoyant un clin d’œil dans le rétroviseur. Oui, j’allais me rendre à cette audition. Pas nécessaire d’acheter la revue du Hot Club de France. Ma voix rauque de fumeuse ferait l’affaire et correspondrait peut-être à un ténor. Le mardi, je rêvais un peu en cours. Les élèves en profitèrent pour bavarder mais je laissais courir. Je n’étais plus une prof mais une choriste jazzy. Très « stylée ». Mercredi, je pensais à ma tenue. Je choisis un décolleté histoire de mettre en valeur mon coffre appétissant.

Le jour J arriva. Dans la salle Jacques Prévert, une femme qui ressemblait à une souris m’accueillit à l’entrée. Dès qu’elle se mit à parler, je reconnus la voix du répondeur :

« Prenez place avec les nouveaux… là, sur l’estrade à gauche. Merci ».

Mon regard se dirigea vers la scène. Une quinzaine de personnes s’affairait sur l’estrade. Plutôt des femmes. Elles s’étaient toutes mises sur son 31. Aucune ne portait de pantalon comme moi. Confiante, je me frayai un chemin et m’installai près d’une grande maigre aux yeux violets qui paraissait timide.

–           « Toi aussi c’est la première fois ? »

–           Oui, je n’ai jamais chanté dans une chorale mais je chante sous la douche et dans ma voiture. »

Nous dûmes interrompre notre conversation car tout le monde se tut d’un coup et un homme entra dans la salle. Vu sa prestance, j’en déduisis que c’était le chef de la chorale. 

–           « Bonsoir à toutes et à tous. Je suis votre chef de cœur : Chandor Koksis. Ma mère est française et mon père est hongrois. Je suis un grand fan de jazz manouche. J’ai joué longtemps de la guitare mais pour moi le plus bel instrument reste la voix. Elle peut jouer plus de notes et varier les tonalités. C’est pourquoi j’ai ouvert cette chorale. Pour innover. Un jazz sans tambour ni trompette avec simplement nos voix. Je suis très curieux de vous écouter. Je vais vous expliquer comment cela va se passer et ensuite je vous proposerai un petit jeu ».

La voix chaude et l’accent slave de Chandor me fascinèrent. Je l’écoutai attentivement tout en contemplant son visage lisse, ses yeux très noirs, sa masse de cheveux poivre et sel. Il enchaîna : 

–           « Vous allez, chacun d’entre vous, vous présenter et m’expliquer pourquoi vous avez choisi cette chorale et ensuite je vous demanderai de répéter une mélodie que je vous jouerai au clavier pour identifier votre timbre de voix.

Son épaule gauche se haussa soudain de manière saccadée. Probablement un tic. En tous cas, je pensai au tempo « staccato ».

–           « Je m’appelle Margot avec un T. Je chante sous la douche et dans ma voiture mais aimerais progresser. J’aime les chiffres pairs. J’ai une voix plutôt basse. J’ai trouvé votre affiche très attirante. Je crois que j’ai une âme de gitane et je suis sensible au jazz manouche.

–           « Je m’appelle Margot avec un T. Je chante sous la douche et dans ma voiture mais aimerais progresser. J’aime les chiffres pairs. J’ai une voix plutôt basse. J’ai trouvé votre affiche très attirante. Je crois que j’ai une âme de gitane et je suis sensible au jazz manouche.

Il tapota clairement quelques notes et je me lançai en gonflant la poitrine pour prendre de l’assurance.

–           « Oui. Vous êtes ténor. Rare pour une femme. Vous avez votre place mais attention ici, ce n’est pas du tout une parenthèse ou une colonie de vacances. Il faudra aussi travailler à la maison et ne pas se contenter de venir aux répétitions le mercredi soir ».

Je répondis avec un entrain légèrement exagéré que je considérais cette nouvelle activité comme un vrai défi, que j’étais professeure de mathématiques, que j’aimais bien qu’un raisonnement se tienne et aller jusqu’au bout d’un projet avec persévérance. Ma réponse fut appréciée car la Souris du répondeur nota mon nom sur une feuille : Margot Chevrolet. Les autres choristes passèrent leur tour sur l’estrade. Chaque femme fit son petit numéro de charme. L’envie de plaire s’imposait rapidement devant ce chef de chœur. Minauderies et défilé de mode dans la salle Prévert.

Le jeu fut amusant. Nous devions nous positionner devant chaque personne en prononçant notre nom en articulant exagérément, en accentuant la prononciation et en chantant dans notre registre. A la fin de la répétition, Chandor nous remit le calendrier de l’année. Les rendez-vous remplissaient bien l’agenda. Tous les mercredis et plusieurs week-end étaient réservés à des répétitions intensives dont une dans un gîte à la Brévine en Suisse.

Les mercredis s’enchaînaient naturellement. Tout le programme reprenait des morceaux de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli. Chandor était accompagné de trois musiciens, un guitariste, une contrebasse et un violoniste. Très vite, j’adhérai à sa méthode –  rigueur, ténacité et sensualité. On ne badinait pas avec les répétitions… Son regard devenait fiévreux et sa voix chaude de ténor descendait dans les graves quand il devait sévir lors de nos fausses notes. Un jour, il nous demanda de chanter en dansant. Le violon s’envola et virevolta à faire éclater les néons du plafond de la salle communale. Ce fut mémorable. Agnès, la grande maigre aux yeux violets se lâcha complètement et commença à se déshabiller lors d’une séance de Lindy Hop. Notre chef devint écarlate et lui demanda de sortir de la salle. Depuis ce jour, l’ambiance devint électrique. Nous commençâmes à préparer l’un des morceaux prévus pour le spectacle. T’as la touche manouche du groupe La Caravane passe. Grandiose.

Je pris tellement goût à cette chorale que je gagnais en confiance. Je me surprise à me regarder nue devant la glace de mon entrée et à éprouver un certain plaisir. Des hommes s’approchèrent. Jim, le prof de sport qui ne m’avait jamais considérée m’invita à prendre un verre…mais personne ne m’attirait vraiment. La chorale occupait mon esprit.

Le rythme demeurait soutenu et je remarquai un jour, avec un léger arrière-goût dans la bouche, que le groupe se réduisait sérieusement. La Souris nous expliqua que plusieurs personnes ne viendraient plus aux répétitions pour des raisons personnelles. Nous étions une quinzaine au début et nous n’étions plus que six pour le week-end à La Brévine. Je me rassurai : les meilleurs restaient. La Souris semblait épuisée. Elle était l’ombre de Chandor. Elle s’occupait de toute l’organisation du concert prévu pour la fin de l’année et donnait toujours l’impression de porter un grand fardeau sur ses épaules.

Au cœur du mois de janvier, en arrivant à La Brévine pour le premier grand week-end de répétition, ce fut d’abord un véritable choc thermique. Chandor nous explique en riant que cet endroit était aussi appelé la Sibérie de la Suisse mais que notre swing manouche allait nous réchauffer. Malgré ces bonnes paroles, je dormis très mal la première nuit dans le gîte. Je fis un rêve étrange. Toutes les choristes disparaissaient une par une sans raison et je me retrouvais seule dans une pièce enfermée. J’entendis la voix de la Souris et de Chandor qui chuchotaient. Je me réveillai le matin de la première journée en me promettant de tendre l’oreille et d’être attentive à tout évènement insolite.

Le lendemain, une pluie glacée battit les carreaux toute la journée de manière intempestive. Le gîte prenait l’humidité et une odeur de moisi s’infiltrait en sourdine dans la salle où nous répétions. Quelle idée de nous emmener dans ce coin si perdu… C’était l’esprit manouche de voyager mais il y avait des limites. Un bémol dans cette aventure qui, jusqu’à présent, semblait parfaite ? Au moment du petit déjeuner, Chandor nous annonça qu’il aimerait travailler individuellement avec chaque choriste. La Souris afficha au mur une liste de passage. Mon tour était tard, à 19h. Intimidée malgré moi à l’idée de me retrouver seule avec Chandor, je me maquillai les yeux, réajustai mon décolleté et me parfumai. Je jubilai tout l’après-midi tout en ressentant ce léger malaise qui m’avait gagné en arrivant à La Brévine. Etais-je vraiment à ma place ici ?

Le cours privé était donné dans une cabane, une sorte de mazot, à quelques mètres du gîte. A 19H00, je m’y rendis. Le soir était tombé. Des gouttes de pluie glacée ruisselaient sur mon visage. Je frissonnai en marchant.

La porte s’ouvrit dans un grincement. Chandor m’attendait et me sourit.

–           « Bonsoir Margot. Tiens, assieds-toi sur cette chaise. Comment te sens-tu ? C’est ici que je trouve le mieux mon inspiration… Prête ? »

D’un coup d’œil, je photographiai la pièce. Au plafond, un vieux luminaire recouvert d’un velours pourpre se balançait. Sur une chaise, je remarquai des partitions, une clarinette. Il faisait bon dans ce mazot grâce à un petit poêle électrique qui diffusait une chaleur enveloppante.

Soudain, mon cœur s’arrêta. Dans un recoin de la pièce, je vis, pendue à des cintres, deux aubes de prêtre bien repassées avec un crucifix. Chandor Kocsis avait donc quitté la robe pour la chorale manouche ?  Une parenthèse dans sa vie.  Moi, Margot Chevrolet, prof de maths et célibataire, je n’avais pas fait fausse route. Comme Chandor, j’avais choisi de vivre. Je me redressais sur ma chaise et gonflais ma poitrine voluptueusement. La suite serait hongroise…